Nous nous dirigeons ensuite vers la place de Breteuil où se trouvent les migrants des pays de l’Est. Les Slovaques, les Polonais qui parlent à peine français campent habituellement là. Nous les aidons à vérifier les dossiers de séjour, d’aide sociale et de contrat de travail temporaire. Ils sont assez motivés pour trouver du travail et un logement. Ils y arrivent beaucoup mieux que les autres sans abris d’origine française à cause de leur mental d’acier.
Ils sont quelques fois assez pieux aussi, étonnamment inspirés par le Saint Esprit dans leur prière par rapport aux croyants tièdes ou même totalement froids qui se présentent comme « croyants mais non-pratiquants « dans plupart des paroisses en France. Ils nous demandent quelque fois de prier avec eux le chapelet. Cela nous touche profondément et ils corrigent la faiblesse de notre foi . Nous faisons-nous une idée fausse du christianisme? Il est encore bien vivant dans les pays de l’Est et dans la rue tout près de chez nous!
Quand nous sommes arrivés sur place, il y avait deux tentes mais vides. Nous avons pourtant décidé de rester en attendant le retour de nos amis sdf dans leur tentes. Un monsieur bien habillé , qui a l’air d’un habitant du quartier, est passé à côté de nous et s’est dirigé vers les agents du secours populaire arrêtés au coin de la rue avec leur camion blanc équipé de signaux d’alarme très visibles .Le monsieur a parlé un moment avec eux et il a marché directement vers une des deux tentes. Il nous paraissait certain qu’il était un des maraudeurs de l’église voisine, mais il était tout seul.
Il est entré dans une tente et il est sorti avec une assiette à la main. Il s’est installé sur un banc à côté et il a commencé à prendre son repas de nuit. A notre grande surprise, il n’était pas maraudeur mais un des sans abris. Nous nous sommes approchés de lui et nous avons essayé timidement de lui parler. C’est toujours très délicat d’établir le premier contact avec un sdf inconnu. Ils ne répondent pas en général par peur et souvent ils deviennent agressifs. Ce n’était pas le cas avec lui. Il était gentil. Il s’est présenté en nous disant qu’il était professeur dans une faculté d’histoire en Pologne.
Il a commencé sa vie de sdf après que son poste ait été supprimé. Un changement dans la politique du gouvernement en était la cause. Il n’a pas pu supporter ensuite les problèmes familiaux dont la responsabilité retombait toujours sur lui. Il a quitté sa famille et son pays en abandonnant sa vie aisée et il s’est installé à Londres en espérant trouver une nouvelle vie avec un travail stable. Mais ce fut de pire en pire ensuite jusqu’à une dégradation totale de ses conditions de vie précaires. Il explique qu’il va quitter la France pour aller au Portugal car la vie lui coûtera moins cher là-bas. Il a plus de soixante ans et n’a jamais appris de travail manuel. Un intellectuel ne sert à rien quand il quitte l’Université, sa tour d’ivoire.
Il avait l’air de s’amuser de sa nouvelle vie de sdf en déplacement permanent mais ce n’est certainement pas marrant de mener sa vie actuelle après l’existence confortable d’un professeur au milieu d’une famille respectée. Il est maintenant sans abri même s’il était un grand intellectuel dans le passé.Parmi les sans abri les classes sociales s’inversent: le plus haut devient le plus bas. Plus grand est le passé plus misérable sera le présent. C’est impossible de garder sa fierté en tant que sans abri. Cela prouve bien que le présent est toujours plus important que le passé. Ce que nous apprenons chez eux, c’est le sens des réalités. C’est un monde sans mensonge et sans illusion.
La foi se développe souvent dans des discussions abstraites et théologiques déconnectées de la réalité ,avec des métaphores bibliques et toutes les histoires de miracles et de visions. La maraude est une bonne méthode de méditation sur toutes les questions de foi sans nous éloigner de la réalité du monde.
La foi est effectivement dans la réalité et si elle n’est pas réaliste, elle devient dangereuse, un produit dérivé qui n’a rien à voir avec le Saint Esprit. Elle devient comme un opium qui nous appauvrit par une fausse vision personnalisée de Dieu, par de faux messages fantasmagoriques, et la recherche de preuves comme le sang, les reliques, les traces d’apparition et les messages prophétiques sans références bibliques confirmées par l’Eglise. La foi n’est pas là pour nous éloigner de la réalité du monde mais au contraire elle nous est donnée par Dieu pour nous rapprocher plus étroitement de la réalité de la vie quotidienne. La foi et la réalité sont de la même famille. S’il n’y a pas de réalité, il n’y a pas non plus la foi.
– Eden J.W. Park 06/01/2016
Important : Tous les noms sont fictifs par respect des sans abris et aussi par discrétion pour les maraudeurs.