Nous étions six ce soir-là. Jacques est parti avec un groupe de jeunes, deux garçons et trois filles dans son camion de maison de campagne qu’il a fait remonter à Paris pour la maraude. J’ai fait équipe avec Benoit, âgé de plus de quatre vingts ans, avec sa barbe blanche et son ventre du père Noël. Le coffre de sa petite voiture usée était comme d’habitude plein de vêtements, de sous-vêtements, de sacs de couchages, de chaussettes et aussi de bonbons et de peluches. Il apporte quelque fois son fameux thermos des années soixante-dix que sa femme remplit de soupe concoctée par la recette traditionnelle de sa maison.
Il est maraudeur déjà depuis plus de cinq ans. Deux fois par semaine de 21 heure jusqu’à minuit pendant cinq ans, même pendant les vacances, cela fait beaucoup. Mais il a l’air plutôt d’un vieux catho banal. Personne sauf le curé savait qu’il était le fondateur d’un grand groupe industriel mondialement connu, qui représente la France encore aujourd’hui. Je ne sais pas pourquoi il fait des maraudes malgré tout au lieu de passer ses jours de retraite parmi ses amis riches milliardaires qui sont dans plupart des temps en vacances quelques part dans un pays exotique, fourré de luxe.
Benoit n’a peur de rien. Il gare sa voiture n’importe où sans craindre les polices. Mais il garde un air très courtois sans se montrer ni arrogant ni glacial. Il représente à sa manière la génération chaleureuse de la grande France, celle qui n’existe maintenant que par l’apparence dans la vitrine politique. Un peu comme un meuble de l’antiquaire de la rue de Verneuil dans le 6 ème. Le mérite de la France que le monde admire a donné une certaine dorure à sa manière de vivre la fin de son séjours sur terre. Un vieux maraudeur comme Zacharie qui cherche à voir le visage de Jésus dans son vivant. Quel courage d’un homme inspiré et quelle noblesse de l’âme chrétienne!
Nous sommes allé rencontrer quelques sans abris d’abord sous le pont de l’Alma. Ils se promènent dans le quartier dans la journée afin d’exercer leur « métier », la quête mais le soir ils rentrent tous dans leur tente individuelle et se réunissait autour de feu de bois qu’ils ont allumée par les débris des déchets récupérés. Il y avait Marion, âgé de soixante ans. Ses affaires ont été volées et sa tente déchirée, mais c’était un vrai catastrophe lamentable pour cet homme souffrant de déprime pathologique. Il racontait souvent en colère son histoire d’avoir tout perdu y compris ses papiers administratifs chaque fois nous l’avons visité. L’assistant social de la mairie du quartier a finalement trouvé un logement social pour lui après longues années d’attente. Il n’a maintenant plus de problème de logement. Finalement sorti de sa situation de sans abris, il était tout content. Il n’était plus là depuis la semaine dernière.
Son ami Guillaume qui habitait à côté dans une autre tente a aussi trouvé la solution pour le logement. L’église Saint François Xavier le loge provisoirement pendant l’hiver par le programme Hiver Solidaire. Il s’est marié à une camerounaise pendant son voyage en Afrique il y a quelques années et il a eu une fille avec elle. Elle habite au Cameroun avec sa femme qui travaille. Son rêve est de pouvoir y retourner et d’y rester vivre là-bas en permanence avec sa famille. Il n’a pas de moyen de payer le billet d’avion pour le retour mais aussi pas de moyen pour la survie de sa famille. Il continue pour l’instant à vivre dans la rue en attendant la solution par RSA. Il n’était plus là non plus ce soir-là.
Nous avons pu voir tout de même son ami que nous ne connaissions pas et qui gardait les deux tentes, celle de Marion et celle de Guillaume. Il est devenu chômeur depuis quelques mois. Il n’avait pas l’air d’un sans abris ayant équipé de l’ordinateur et de plusieurs machines portables très « modernes ». Son visage a pourtant pris plus d’âges par manque d’hygiène et de stresse certainement psychologique. Sa santé psychique ne semblait pas très convaincante.
Le plus grand problème des sans abris n’est pas matériel mais mental. Ils ont besoin de contact humain, de condition qui assure la dignité humaine. Ils ont besoin pour cela de quelqu’un qui les visite régulièrement avec une certaine amitié et qui les écoute en les respectant. Nous sommes enfin là pour cette raison. Leur âme a besoin de dialogue et de chaleur humaine comme tout le monde.
La charité est un mot fort et mal exprimé qui semble académique et bourgeois dans ce sens. Le mot même peut faire du mal. La charité dans un vrai sens est plus profonde que cela. Elle n’est ni un concept sociale ni une aide matérielle. Ce mot devrait être remplacé par la fraternité. Mais cela ne changera pas grande chose, j’imagine. Nous ne savons pas très bien comment nous pouvons entrer doucement dans leur vie précaire sans les blesser. Il n’y a que Dieu qui doit le savoir.
Quant à nous nous partons pour rencontrer les sans abris juste avec un petit thermos rempli de café mais toujours avec un petit coeur chaud rempli d’un amour incertain. C’est très peu et finalement jamais par la conviction politique mais tout simplement par la fraternité aveugle. Mais c’est cela, finalement beaucoup d’amour. Cela ne vient pas de nous. Nous savons dans l’inspiration de la foi que cela vient de Dieu. Les mains tendues sont aussi les mains de prière dans notre coeur. Le dialogue avec les sans abris est aussi un peu comme les mots de prière.
Nous prions quelque fois ensemble le chapelet avec eux à notre surprise. Si nous leur offrons le chapelet, ils le gardent précieusement comme un trésor. Ils l’accrochent au chevet pour le voir à chaque réveil au petit matin et à chaque soir avant de dormir dans leur seul moment tranquille de l’intimité. Nous découvrons la foi très pure souvent dans leur âme humble au niveau le plus bas. Nous apprenons en fait beaucoup de chose chez eux juste pour la question de la foi en regardant leur vie.
Ce n’est pas nous mais finalement c’est eux qui nous donnent. Nous rentrons toujours avec beaucoup de cadeaux dans un sens spirituel. Cela est une expérience très spirituelle où nous pouvons rencontrer la foi incarnée dans l’humilité totale et la présence de Dieu.
– Eden J.W. Park 06/01/2016
Important : Tous les noms sont fictifs pour respect des sans abris et aussi pour la discrétion des maraudeurs.